Notre équipe de rédaction est allée à la rencontre de Nicole ROUSSEL, formatrice en counseling (relation d’aide) au CeFAP depuis plus de 15 ans. Elle a accepté notre interview et nous a raconté son parcours de vie riche de rencontres avec des publics différents qu’elle a accompagné, écouté en acceptant toujours l’autre tel qui l’est parce qu’elle « aime les gens ».
Nicole, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai 77 ans, et j’ai eu plusieurs vies professionnelles. J’ai été institutrice pendant 20 ans. J’ai adoré ce métier mais j’ai eu le sentiment d’être arrivée au bout. Par la suite, j’ai entrepris la formation de conseillère conjugale car je trouvais que c’était très intéressant d’aborder de nombreux domaines (sexualité, droit avec le mariage, le divorce…). Je me suis complètement investie dans cet apprentissage et un an après, j’étais directrice du planning familial des Bouches du Rhône. Dans ce département, avec la collaboration d’une chercheuse Américaine, j’ai mis en place un programme de réduction des risques sexuels en pleine épidémie du VIH. Ce programme a beaucoup plu à la DDASS, puis au Ministère. Il a été reconnu sur le plan national puis à l’international. Avec ce programme, j’ai beaucoup voyagé pour le promouvoir. J’ai aussi été en charge du dossier violence au Bureau National du MFPF pendant près de 10 ans. Je suis revenue dans le Var où j’étais Présidente du planning familial. Ces expériences au planning familial ont duré 30 ans environ. J’ai ensuite quitté le Mouvement pour créer une petite association locale.
Vous étiez au planning familial en pleine épidémie du VIH et j’ai l’impression que c’est une expérience qui vous a beaucoup marqué ?
Oui, ça m’a beaucoup marqué car on se battait avec les moyens du bord. Il n’y avait pas de traitement. C’était entre des personnes malades et des personnes de bonne volonté que des groupes de soutien se créaient.
Comment vous êtes-vous retrouvée à travailler et à vous engager autant autour de ce sujet ?
Il y a eu tout un mouvement de pensée très dur à l’encontre des homosexuels puisqu’on pensait qu’il n’y avait qu’eux qui étaient atteints du sida. Ce rejet était sous tendu par un regard négatif et normatif sur la sexualité en général et en tant que militante féministe j’étais très concernée par ce discours. Je me suis engagée pour continuer à me battre pour une sexualité libre, basée sur le choix et le consentement et non sur une morale. Au départ, j’avais commencé à m’engager pour le droit à l’avortement ; c’était aussi une période très importante. Depuis, j’ai l’impression qu’en France, ce droit est acquis pour le moment. Le VIH a remis beaucoup de choses en question sur la sexualité et ensuite les violences conjugales. J’ai l’impression que j’ai changé de sujet tout en restant toujours sur la question de la sexualité.
Qu’est-ce que vous retenez de toute votre expérience de vie ?
Pour moi, ce qui ressort, c’est que je suis de plus en plus humaniste. Je trouve les gens passionnants. J’ai eu la chance de travailler avec Augusto Boual (fondateur du Théâtre de l’Opprimé) et je me suis inspirée de ses techniques pour mettre en place des outils avec des publics très variés comme des détenus, des personnes obèses, des femmes victimes de violence, des adolescents ou des personnes handicapées. J’ai beaucoup appris des gens avec qui je travaillais car ils avaient tous des approches différentes de la vie.
J’ai l’impression quand je regarde ma vie, qu’il y a une cohérence. Quel que soit les programmes dans lesquels j’ai été, il y avait toujours les mêmes outils, les mêmes émotions. Ça fait très longtemps que j’enseigne l’auto-défense aux femmes, et je trouve qu’il y a de vrais liens avec le counseling notamment le travail sur l’estime de soi, sur l’énergie et le travail sur la construction des femmes par l’éduction.
Ce qui me reste, c’est à quel point je retrouvais les mêmes problématiques et les mêmes approches quel que soit la difficulté du groupe avec qui j’étais. Les outils de Carl ROGERS ont toujours été efficaces et pertinents dans mes accompagnements.
Vous évoquez les émotions. Justement, au CeFAP, on parle évidemment de parentalité, et on sait que l’arrivée d’un enfant est un chamboulement dans la vie de jeunes parents et que les émotions de chacun sont mises à rude épreuve. En accompagnement autant de personnes différentes, vous avez notamment travaillé sur les émotions ?
Oui bien sûr. Avant de comprendre ses émotions, il faut les identifier, et trop souvent on tente de les dissimuler. C’est difficile de les verbaliser car ça veut dire que j’en parle à quelqu’un, que je sollicite une personne et donc que j’ai besoin d’aide. L’écrit est aussi un bon moyen de verbaliser ses émotions. Tout le travail au CeFAP m’intéresse car dans ces métiers, comme dans tous types de métiers d’ailleurs, c’est important d’être en phase avec ses émotions. D’être capable de les exprimer, ça fait bouger le monde dans le bon sens. Au CeFAP, on travaille autour de l’arrivée de l’enfant, et je trouve que c’est comme si des ondes positives des modes de relation allaient se répandre par la suite dans le travail des professionnels et des Accompagnantes Périnatales car ces personnes apporteront un regard humaniste (si ce n’est déjà fait).
D’ailleurs, comment avez-vous été amenée à enseigner le Counseling au CeFAP ?
Sur commande de la mairie à Aubagne, j’organisais un théâtre forum sur les violences faites aux femmes. Fortement intéressée par ce sujet, Vanina, fondatrice du CeFAP est venue. Nous nous sommes liées d’amitié et elle m’a proposé d’intervenir sur l’écoute. A l’époque le centre était à Aubagne.
Le VIH m’a amené à enseigner le counseling car au début de l’épidémie, il fallait faire des tests dont un entretien pré-test (quels risques les personnes avaient pris, comment elles envisageaient leur vie en fonction du résultat de leur test). Ensuite, il y avait les entretiens pour donner les résultats des tests. A cette époque, les médecins n’avaient pas de formation pour faire ça. Comme au Planning nous étions formées à l’écoute, nous avons fait ces entretiens post test. Je me suis donc davantage formée au counseling car j’ai constaté à quel point c’était efficace et pertinent d’écouter les gens, et de leur dire que nous n’étions pas à l’aise ou que nous étions chamboulés par ce qu’ils nous racontaient. Cette approche a beaucoup aidé les personnes à être vrais, authentiques car en face, nous l’étions.
L’approche de Carl ROGERS a guidé vos accompagnements. Quels sont les principes fondamentaux sur lesquels vous vous êtes toujours appuyés pour mener vos entretiens ?
Ce qui est à la base de ROGERS, c’est l’acceptation. Accepter l’autre comme il est à l’instant présent. J’ai œuvré en prison et j’ai choisi de travailler avec des gens qui ont commis des crimes de sang. Je savais que nous pourrions collaborer dans la durée. Je n’excuse pas leurs actes mais j’ accepte les personnes qui les ont commis comme elles sont. J’ai même fini par avoir de la sympathie pour la majorité. Quand vous prenez les détenus comme ils sont, vous vous rendez-compte qu’ils ne sont pas que des assassins. Ce sont des pères, des maris, des fils. Ils ont des émotions et ils ont une histoire. On peut travailler avec eux. Sans l’acceptation de l’autre, la relation ne peut pas fonctionner.
Après, il y a l’empathie. C’est un moyen de faire connaissance avec ce que la personne est vraiment et pas avec ce qu’elle vous montre. Savoir quel est son cadre ? Dans quel monde d’idée la personne fonctionne ? Quelles sont ses normes ? C’est connaitre le monde dans lequel l’autre évolue qui n’est pas le mien et qui fait que je n’ai pas de solution pour lui. Je dois l’accompagner dans la recherche de ses solutions à lui. « L’empathie, c’est prendre les chaussures de l’autre mais pas ses ampoules ». Je vois la situation comme lui il la voit mais sans l’émotivité qui va avec.
Ensuite, il y a la congruence. C’est un gros travail d’exprimer ce que vous ressentez sans être dans le jugement. Il s’agit d’être authentique. Comment dire à la personne « ce que vous dites, c’est difficile à entendre pour moi » ? Il faut commencer par travailler beaucoup sur soi.
En dernier, c’est le Regard Positif Inconditionnel. Ce que fait la personne, il faut que ça ait du sens pour elle. Vous ne pouvez pas proposer de solution car vous ne savez pas quel est le sens de ce qu’elle vous dit. Ainsi, vous sortez de la tentation de trouver des solutions.
Ensuite, j’ajoute l’empowerment qui n’est pas de ROGERS mais qui a été théorisé au moment du VIH. Comme il n’y avait pas de solution, les personnes élaboraient les réponses à leur question elles-mêmes. C’est toujours d’actualité, car c’est un outil permettant de donner plus d’autonomie à la personne.
Vous n’apportez pas de solution à la personne ?
Non. La personne qui vous parle, elle s’écoute. La situation qu’elle vous expose, elle la voit se formaliser et ça lui permet d’avancer. D’y voir plus clair. Et après, vous posez des questions.
Est-ce que vous arrivez à mettre en place cette approche dans votre vie quotidienne ?
Parfois, je me demande s’il n’y a pas écrit « planning familial » sur mon front car les gens se confient très facilement à moi.
A côté, de mon travail de formatrice, avec mon mari, on fait des tables d’hôtes. En général, les gens restent une semaine et gardent la même place à table. Et lorsque je vois quelqu’un venir s’asseoir à côté de moi pour me dire « j’aimerais bien vous parler parce que ma fille a été violée et je le vis très mal », je pense que je donne à voir quelque chose. En tout cas, je pense que ma pratique fait écho. Dans ma vie personnelle, je ne me pose pas la question d’être particulièrement écoutante mais je le fais au maximum avec mes proches.
Vous parlez de tables d’hôtes, quelle était l’idée de ce projet ?
Mon mari et moi avons toujours accueilli des gens. Au planning, quand nous n’avions pas de solution, nous hébergions les personnes en difficulté notamment des jeunes filles qui allaient accoucher sous X car il n’y avait pas de structure pour les accueillir ou des filles en situation de mariage forcé. On a également hébergé des gens démunis. Comme on savait et qu’on aimait accueillir, ce projet nous a semblé évident.
Nicole, notre entretien touche à sa fin mais avant, j’ai cru comprendre que vous aviez encore des projets pleins la tête et un agenda bien rempli ?
Nous habitons dans un beau village du Sud où il n’y a aucune vie culturelle. Nous avons donc créé une association avec mon mari où nous organisons quelques évènements. L’idée fonctionne bien donc on répond à un besoin. Par la suite, j’espère mettre en place des groupes de parole car il y a une demande des élus, des associations mais personne ne sait comment s’y prendre. Alors pour le moment, je forme les bénévoles. Nous aimerions créer un lieu de paroles pour les femmes victimes de violence mais c’est compliqué car il faut trouver par quel biais les faire venir à nous. Comme on a un centre mère et enfants qui vient d’ouvrir, je vais tenter d’organiser des ateliers « femmes et santé ». Avec une Accompagnante Périnatale, on pourrait organiser des ateliers sur le postpartum, l’allaitement et par expérience je sais que si on fait deux réunions avec une dizaine de femmes, il y en a au moins une qui viendra nous parler des violences qu’elle a subi. Puis, il y en aura une deuxième et au fur et à mesure on pourra créer un groupe de parole. Mais pour l’instant comme nous ne sommes pas le Planning Familial, c’est plus compliqué à mettre en place.
Pour conclure, les relations humaines, les échanges et les liens avec les autres vous ont animés dans votre riche parcours de vie et c’est toujours le cas. Dans votre approche ave l’autre, vous n’avez jamais de préjugés ?
Mon expérience m’a tellement montré que tout le monde était aimable que j’aime tout le monde.
Merci Nicole pour cette interview très riche et intéressante. On vous souhaite de mener à bien vos beaux projets !
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