Interview Cécile Sérillon, Consultante en lactation IBCLC

Bonjour Cécile. Merci de répondre à nos questions. 

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je suis auxiliaire de puériculture de formation. Pendant ma formation, j’ai réalisé des stages dans différents services comme la néonat ou les urgences. J’ai travaillé pendant 8 ans dans un service de maternité de niveau 1.

J’ai également travaillé quelques temps en crèche. En 2020, j’ai obtenu mon Diplôme Universitaire d’Allaitement Maternel. A la suite, j’ai créé SOSallaitement33 et commencé à proposer des consultations d’allaitement. Depuis décembre 2022, je suis certifiée Consultante en Lactation IBCLC. J’exerce en libéral et propose des accompagnements d’allaitement aux couples en pré-natal afin de préparer l’allaitement et en post-natal (de la sortie de la maternité jusqu’au moment du sevrage et à tous les moments où les mamans sentent qu’elles en ont besoin) pour lever des doutes, pour organiser une transition, pour répondre aux difficultés et pour soutenir les femmes allaitantes car un allaitement qui dure est un allaitement soutenu

Portrait et interview de Cécile Sérillon, consultante en lactation IBCLC

Quelles sont les difficultés que les Mamans rencontrent sur l’allaitement ?

La majeure partie de mes consultations se concentrent sur le premier mois d’allaitement. Les problématiques sont diverses (seins engorgés, mastites, douleurs aux mamelons lors des tétées, découragement, fatigue, isolement,…). Les difficultés peuvent aussi être liées au bébé. Par exemple un problème de succion ou de prise de poids. Le premier mois est dédié à la mise en place de l’allaitement, véritable période de calibrage car beaucoup de choses se jouent à ce moment. 

J’ai également beaucoup de demandes de consultations entre la fin du premier mois et le sixième mois. Il y a sur cette période des étapes importantes comme la reprise du travail pour beaucoup de mamans, la diversification alimentaire, la fatigue qui s’installe, des questionnements sur le sommeil et aussi la pression sociale qui commence à être plus forte. C’est une période à haut risque pour un sevrage non désiré et un allaitement écourté, contre la volonté de la maman.  

 Tout est lié, et c’est pour cette raison qu’il est important de se former en continu sur des sujets variés.  J’ai d’ailleurs suivi une formation en diversification alimentaire et DME. Je m’informe également beaucoup sur le sujet du sommeil car c’est une thématique qui revient très souvent en consultation, en lien avec la fatigue relative à des nuits entrecoupées et la pression sociale des attentes envers le bébé. C’est essentiel d’être à l’écoute de la maman pour savoir de quoi elle a besoin et comment elle peut être relayée et soutenue dans son quotidien, tout en transmettant de l’information sur les rythmes et les besoins du nouveau-né et l’évolution de son sommeil au fur et à mesure des mois et des années.

Et j’accompagne également de nombreuses mamans lors du désir de sevrage ou de transition vers un allaitement mixte. Le sevrage est une étape de l’allaitement pendant laquelle les mamans se sentent très isolées et ont beaucoup de mal à trouver de l’écoute et l’aide, encore plus quand il s’agit d’un bambin (au-delà de 1 an/ 1 an et demi).

Enfin, j’ai une petite part de consultation pré-natale. Pas assez je trouve et c’est vraiment dommage parce-que cela permet de donner plus de chance à son projet d’allaitement de bien le préparer pendant la grossesse. Cela permet d’appréhender la mise en place de l’allaitement avec beaucoup plus de sérénité et d’être plus vigilante et de gagner beaucoup de temps en cas de difficultés.

 

En quoi consiste les consultations prénatales ?

J’informe sur différents sujets :

  • La physiologie de la lactation (comment ça marche, comment cela va se manifester au niveau du corps et de seins, qu’est-ce qui normal et anormal, de quoi faut-il vraiment s’inquiéter).
  • Le rythme et les besoins du nouveau-né
  • Le matériel autour de l’allaitement, ce qui est utile ou non et dans quelles circonstances
  • Les difficultés courantes et comment y faire face
  • Le séjour à la maternité pour pouvoir anticiper certaines difficultés. En parler est très important. 

La consultation prénatale est une consultation d’information et de prévention sur les bénéfices santé de l’allaitement, sur la mise en place de la lactation, sur la perte de poids du bébé, les douleurs, notamment les crevasses qui peuvent survenir au début de l’allaitement. En effet, mieux vaut prévenir que guérir.

C’est également lors de consultations prénatales que l’on peut discuter de la santé de la maman, évaluer le risque d’hypogalactie primaire et comment optimiser la lactation dès le départ, même si parfois, cela n’a finalement pas ou peu d’impact sur son allaitement.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à aller plus loin dans l’accompagnement de l’allaitement maternel ?

Le métier d’auxiliaire de puériculture était pour moi un tremplin pour pouvoir être consultante en lactation, j’avais ce projet depuis déjà bien longtemps. Comme beaucoup de femmes autour de moi, mon expérience personnelle a été un élément déclencheur dans mon désir d’accompagnement, de soutien et de transmission. Le manque de transmissions et de figures de référence, c’est ce qui manque énormément aux jeunes mamans aujourd’hui en France. L’allaitement maternel n’est plus culturel, il n’est plus la norme ce qui fait que les mamans allaitantes se sentent isolées, peu soutenues et bien souvent incomprises.

Quand j’ai allaité mon fils aîné, j’ai été confrontée à quelques difficultés et je me suis vite aperçue qu’il y avait un vrai manque d’accompagnement et d’écoute, sans compter les mauvais conseils qui amènent à douter ou à adopter une conduite de l’allaitement à l’opposé du bon sens et de la physiologie.  J’ai compris à quel point les mères allaitantes étaient seules, mal informées, mal conseillées et influencées. Heureusement j’ai croisé des “petites fées” sur ma route qui m’ont permis de vivre une belle aventure lactée. Et logiquement, j’ai voulu donner ce que j’avais reçu en soutenant à mon tour   des femmes dans leur projet d’allaitement.  J’ai commencé en tant que bénévole dans des associations, et quand j’ai eu mes autres enfants quelques années plus tard, j’ai eu besoin de professionnaliser mon accompagnement. C’est à ce moment-là que j’ai fait ma formation d’auxiliaire de puériculture et que j’ai pu travailler en maternité.  Pendant ces 8 années, j’ai continué à me former, à m’informer, à lire des livres et des études et à être très active dans l’accompagnement des mères allaitantes.

 Puis j’ai suivi le Diplôme Universitaire d’Allaitement Maternel. Cette année de formation a été très intense, très riche et a fondamentalement changé ma compréhension de la lactation humaine et mes accompagnements, j’ai appris énormément. Jusqu’à obtenir en 2022 la certification IBCLC dont je rêvais depuis longtemps. 

 

Pouvez-vous en dire plus sur cette certification ?

C’est une certification internationale que l’on peut obtenir après avoir déjà acquis un certain niveau de formations, de connaissances et de pratique clinique en allaitement maternel et en lactation humaine. Ce n’est pas un diplôme de début de carrière et il faut donc avoir quelques bagages avant de pouvoir prétendre passer l’examen. Actuellement, les critères demandés sont les suivants :

  • Être professionnelle de santé (liste des professions reconnues réalisée par l’ILBLCE, l’organisme qui gère le programme de certification)
  • Justifier de plus de 1000 heures de pratique clinique d’accompagnement en allaitement maternel sur les 5 dernières années
  • Justifier de plus de 100 heures de formation en allaitement maternel sur divers domaines
  • Justifier de 5 heures de formation en communication
  • Être à jour de la formation AFGSU (Attestation de Formation aux Gestes et Secours d’Urgence)

Il faut ensuite avoir une note honorable à l’examen international.

Pour conserver cette certification, il faut s’inscrire dans une démarche de formation continue (à justifier tous les 5 ans) et repasser l’examen tous les 10 ans.

Les missions de la consultante en lactation sont très précises : promouvoir, protéger et soutenir l’allaitement maternel et nous sommes tenues de respecter le code de déontologie de notre profession.

 

Qu’est-ce que cette certification vous apporte par rapport à un autre professionnel de santé ?

Les professionnels de la périnatalité et de la petite enfance ont seulement quelques heures d’enseignements dédiées à l’allaitement maternel dans leur formation. Bien souvent, ce sont des heures centrées sur la pathologie plutôt que sur la physiologie. Ensuite, c’est beaucoup de pratique; pratique influencée par les professionnels déjà en poste qui ne sont pas forcément formés non plus et qui transmettent davantage leurs à priori, leurs expériences personnelles et leurs peurs plutôt que des informations objectives basées sur des données probantes et des études récentes.  Malheureusement, dans ces conditions, on continue ainsi à répéter les mêmes choses obsolètes depuis des années.   Et cela s’en ressent énormément dans la qualité de l’accompagnement de l’allaitement et de la prise en charge des complications/difficultés. 

La certification IBCLC me permet de justifier de précieux bagages, d’une véritable expertise et de connaissances à jour.  En effet, la certification est soumise à une obligation de formation continue. Je suis obligée de continuer à me former si je veux conserver ma certification.

Les familles que j’accompagne y sont très sensibles. Pour eux, c’est important car ils savent que c’est une garantie de formation continue, de compétences, de connaissances et d’expériences (c’est auprès des familles que j’apprends le plus).

Pourtant, cette profession n’est pas encore très connue ni reconnue d’utilité publique en France. La consultation d’allaitement n’est pas encore intégrée systématiquement au parcours de soins de la future maman ou de la maman allaitante mais je pense que c’est en train d’évoluer.

 

Quel regard portez-vous sur l’allaitement maternel en France ?

Je trouve qu’il y a un énorme décalage entre les études et les connaissances scientifiques et les informations transmises aux futurs parents pendant le suivi de la grossesse. Peu de parents sont réellement informés des bénéfices santé pour la mère et l’enfant et encore moins des risques du non-allaitement que l’on évoque de plus en plus.

 Ce décalage est sûrement le résultat de lobbies très puissants de l’agro-alimentaire. L’allaitement maternel doit être protégé. On a donc tout intérêt à déployer notre énergie pour le soutenir.

 

L’enquête Périnatale 2021 menée par l’INSERM montre que le taux d’allaitement chute à 34,8% à partir des deux mois du bébé (contre 56,3% à la sortie de la maternité). La reprise du travail est-elle la seule raison ? Que changeriez-vous pour augmenter le taux d’allaitement en France ?

Il y a trois leviers évidents :

  • Allonger le congé maternité pour les mamans qui le souhaitent. Reprendre le travail deux mois et demi après avoir accouché, c’est y penser plusieurs semaines à l’avance et c’est un frein énorme au démarrage de l’allaitement et à un allaitement serein et ensuite à la poursuite de l’allaitement. Oui allaiter et travailler, c’est possible, mais c’est un challenge dont beaucoup de femmes se passeraient si elles pouvaient rester auprès de leur bébé un peu plus longtemps.
  • Former les soignants, les équipes médicales, paramédicales et les professionnelles de la petite enfance. Parce que faire intervenir en maternité du personnel sans formation sur l’intérêt de l’allaitement, sur l’utilisation d’un tire-lait ou encore sur les mots ou la posture professionnelle que l’on se doit d’avoir auprès des nouveaux parents pour encourager l’allaitement, ce n’est pas la bonne stratégie.
  • Faire respecter le Code Internationale de Commercialisation des substituts de lait maternel qui définit les règles de marketing et de commercialisation des Préparations Commerciales pour Nourrissons et de leurs dérivés mais aussi des sucettes et des biberons. Malheureusement, il est trop peu respecté aujourd’hui et peu de gens s’en offusquent.

Et il y a tellement d’autres actions à mener ….

 

Pouvez-nous dire ce que vous faites en consultation ? Comment se passent-elles ?

Je réalise mes consultations au domicile des parents car je trouve que c’est plus confortable pour eux et cela leur enlève de la charge mentale. De plus, cela me permet d’observer les tétées dans l’environnement habituel et de proposer des ajustements réalisables.

 Une consultation  dure environ 2 heures. On y aborde :

  • Le vécu de la maman depuis son désir d’enfant jusqu’à son accouchement
  • Je regarde le carnet de santé du bébé
  • J’observe une tétée et si besoin, j’effectue une évaluation digitale de la succion du bébé
  • S’il y a des douleurs, je réalise un examen des seins
  • Grâce à une anamnèse précise, je peux cibler la cause des problèmes quand il y en a et ensuite, proposer des actions, des ajustements pour arranger les choses.
  • Je fais également beaucoup de prévention et j’apporte des informations aux parents.
  • Si besoin, je réalise un compte rendu pour d’autres professionnels en lien avec les parents et j’oriente si c’est nécessaire. Je travaille en réseau avec de nombreux professionnels de santé.
  • La consultation d’allaitement est aussi un temps d’écoute et de soutien. Les mamans ont besoin qu’on leur accorde ce temps de parole libre, sans jugement.

Après la consultation, je réalise un suivi (généralement par téléphone ou par mail) aussi longtemps que la maman en éprouve le besoin.

L’allaitement évolue avec le temps. Il n’est jamais figé. Je peux revoir les mamans plusieurs fois, en fonction des problématiques qu’elles rencontrent au fur et à mesure que leur bébé grandit.

 

Quelle est la place du co-parent pendant la période d’allaitement ? Comment peut-il la trouver ?

C’est un vrai sujet car on incite beaucoup les pères à s’investir dans leur paternité et c’est une très bonne chose. N’oublions pas qu’il y a quelques décennies, l’accès à la salle de naissance leur était interdit. Aujourd’hui, lorsqu’ils ne souhaitent pas être présents, on les incite à changer d’avis. Je crois qu’on doit aussi savoir écouter les pères !

Le rôle du co-parent dans le projet d’allaitement est fondamental. Il protège la dyade maman-bébé pour que l’allaitement se passe au mieux, leur évite des visites excessives, relaye sa compagne pour qu’elle se repose, lui prépare un plat qui lui fait plaisir, veille à son confort pendant les tétées, s’occupe des autres enfants s’il y en a, et surtout l’encourage et la soutiens dans sa volonté d’allaiter.  

Il a donc toute sa place dans cette période de construction et ce n’est pas parce qu’il ne donne pas de biberon qu’il ne sera pas investi dans sa paternité. Le bébé est un être sensoriel qui a bien d’autres besoins à combler, outre l’alimentation. Le co-parent joue une part très importante dans le lien d’attachement. Concernant l’alimentation, il pourra s’investir dans la diversification alimentaire par la suite, la période de l’allaitement exclusif ne dure pas très longtemps (Reco OMS pour le début de la diversification :  6 mois révolus).

 

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à une future mère allaitante ?

Je lui dirai qu’elle ne doit pas hésiter à se renseigner sur l’allaitement pour comprendre son corps et comment la lactation va se mettre en place. Elle peut le faire auprès de professionnels formés et/ou par le biais de vidéos ou de lectures. Voici quelques idées lectures que j’aime bien conseiller aux futures mamans (et il y en a beaucoup d’autres) :

  • Mon allaitement au naturel, Ina May Gaskin
  • Mon allaitement sur mesure, Carole Hervé
  • L’allaitement de la naissance au sevrage, Marie Thirion
  • L’art de l’allaitement maternel, La Leche League

Participer en prénatal à des groupes de paroles autour de l’allaitement est également très précieux, cela permet de voir des mamans allaiter leurs bébés. Les jeunes mamans manquent de transmission autour de l’allaitement, il faut donc créer cette transmission. C’est un de mes rôles de consultante en lactation.

 

Et pour une mère qui rencontre des difficultés et qui est sur le point d’abandonner ?

Elle doit oser demander de l’aide auprès de professionnels formés. Demander de l’aide, prendre rdv avec une consultante en lactation, c’est déjà commencer à résoudre ces difficultés car il y a une action volontaire. On ne subit plus, on agit !  La certitude d’être écoutée et d’obtenir de l’aide permet de diminuer le stress. Cela donne beaucoup d’espoir et cela permet de ne pas abandonner.

 

Votre métier d’auxiliaire de puériculture est-il un avantage ?

L’auxiliaire de puériculture accompagne les parents dans les soins d’hygiène et du confort du bébé.   J’ai travaillé pendant 8 ans dans un service de maternité et j’ai acquis une grande expérience de la surveillance du nouveau-né, de son adaptation à la vie extra-utérine et de l’accompagnement au démarrage de l’allaitement et à la parentalité. Je connais les protocoles hospitaliers, le fonctionnement des équipes, cela me permet de réellement comprendre ce que les parents ont traversé lorsqu’ils me parlent de leur séjour à la maternité.

J’ai également une expérience en crèche qui m’a permis de renforcer mes connaissances sur le développement de l’enfant, d’observer le fonctionnement des équipes et l’accueil des familles et surtout les contraintes actuelles liées à l’accueil du bébé allaité (un sujet sur lequel je vais beaucoup m’investir dans les prochains mois). 

Mon expérience et mes compétences d’auxiliaire de puériculture, associés à mes formations et compétences de consultante en lactation, me permettent d’être très vigilante et de pouvoir guider les parents sur la prise du poids du bébé/bambin, sur son éveil, son développement, son rythme, son sommeil et son alimentation.

Mais de toute façon, les consultantes en lactation IBCLC sont toutes des professionnelles de santé avec une expérience en structure hospitalière. C’est une des conditions d’accès à l’examen.

 

Vous travaillez en réseau ?

Bien sûr ! Travailler en réseau avec d’autres professionnels est indispensable. C’est important pour les parents de se sentir entourés et pris en charge par différents professionnels qui se connaissent, qui se font confiance, qui communiquent entre eux et qui savent reconnaître les compétences et aussi leurs limites.

Il est important d’être honnête avec les parents en leur disant la vérité, sans approximation afin qu’ils fassent leur choix en conscience.

Merci Cécile pour cette interview très enrichissante. On vous souhaite beaucoup de réussite dans votre projet !

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