Mathilde Bouychou, psychologue spécialisée en périnatalité

Bonjour Mathilde. Peux-tu te présenter ? 

Je suis psychologue clinicienne, psychotérapeute de couple. je suis formée à l’Intégration du Cycle de la Vie (ICV) et spécialisée en Périnatalité. Je suis formatrice auprès des professionnels de santé et également conférencière et autrice du livre “Désirs d’enfants” et créatrice du podcast Parentalité(s) : éduquer c’est comprendre !  

Mathilde Bouychou dédicace son livre Désirs d'Enfants
Mathilde Bouychou, psychologue spécialisée en périnatalité

Aujourd'hui, on lève de plus en plus le voile sur les traumatismes liés à l'accouchement; c'est une bonne chose.

Quelles sont les thématiques que tu abordes le plus dans ton quotidien ? 

Les patients viennent me voir sur les sujets liés à la périnatalité ou à la parentalité. C’est à la fois très ciblé mais aussi très varié car il y a beaucoup de thèmes.  

Les parcours PMA (Procréation Médicalement Assistée) avec des personnes qui ont des difficultés à concevoir, d’autres qui ont déjà vécu des échecs ou encore qui se posent la question de se lancer sur ce chemin sont des thématiques qui reviennent souvent. Il y a aussi beaucoup de femmes qui viennent me voir parce qu’elles sont en souffrance, soit pendant la grossesse soit en post-partum. Donc des problématiques autour de la dépression anténatale et postnatale. 

Le deuil périnatal (arrêt de grossesse, interruption médicale de grossesse, mort fœtale in-utéro) fait aussi partie des situations rencontrées auprès de mes patients.


Avec la libération de la parole, est-ce qu’il y a des sujets pour lesquels on te consulte davantage ? 

Je constate que le sujet des violences gynécologiques et obstétricales peut faire partie des raisons pour lesquelles les femmes viennent me voir car elles ont des syndromes post-traumatiques. Aujourd’hui, on lève de plus en plus le voile sur les traumatismes liés à l’accouchement ; c’est une très bonne chose.

La question du décalage entre tout ce qui est attendu dans la parentalité durant la grossesse et le postpartum et ce qui est vécu est également une problématique qui revient régulièrement. C’est un sujet qui génère de la désillusion, de la déception, des émotions parfois douloureuses et souvent une réelle souffrance qui amène à se dévaloriser et à questionner ses propres compétences maternelles/parentales. Pour moi, c’est en partie à cause des images très idéalisées autour de la parentalité dans notre société. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les femmes (majoritairement) et les hommes consultent plus sur ces sujets parce que la parole se libère notamment sur la souffrance, sur la dépression du postpartum et de la difficulté d’être parents.


Est-ce qu’on peut dire que la Périnatalité dans son ensemble évolue pour mieux accompagner les parents ?  

Oui, clairement. Ces dernières années, la périnatalité est devenue une spécialité dans les études de psychologue. ce qui n’était pas du tout le cas il y a 17 ans. A l’époque, il n’y avait qu’un seul Diplôme Universitaire autour de la Périnatalité alors qu’aujourd’hui, il y en a plusieurs. Ce qui montre bien le développement de cette spécialité et des spécificités de cette clinique.

Mains d'un couple et de son bébé

Qu’est-ce qui t’a poussée à te spécialiser en périnatalité ?  

Je suis arrivée dans ce secteur un peu par hasard car j’avais fait tous mes stages en psychiatrie adulte. Ce qui m’intéressait particulièrement c’était la pathologie mentale. J’ai fait mon mémoire de fin d’études sur la féminité chez les femmes schizophrènes. Il y avait un intérêt autour l’identité sexuelle ce qui m’a amené à aborder les questions autour de la maternité.  Lorsque j’ai cherché mon premier poste, celui que j’ai trouvé était en maternité. Le milieu m’a passionné et j’y suis restée mais cette fois, pas par hasard.

 

Au CeFAP, tu transmets un module sur le deuil périnatal. Qu’est-ce que les professionnels viennent chercher sur cette problématique ? De quoi ont-ils besoin pour accompagner cette épreuve de vie ? 

Je dirai (c’est peut-être une idée) que les professionnels ne viennent pas sur ce thème spontanément car il renvoie à la peur. Au CeFAP, cette thématique est imposée, alors c’est différent. En tout cas, la majorité des personnes que je forme a été confrontée à ce sujet et s’est sentie démunie. Je pense que les professionnels ont besoin de ressources pour eux-mêmes pour pouvoir dépasser cette appréhension du tabou de la mort. Sur ce sujet, j’ai envie de transmettre quelque chose de lumineux parce qu’en séance, c’est ce que je vis avec les parents que j’accompagne même si évidemment il y a des moments très douloureux. Malgré la souffrance, il y a de la lumière ; il y a beaucoup de vie. C’est toujours quelque chose que j’ai envie de transmettre aux personnes qui se forment. Au début, quand on fait un tour de table, elles appréhendent et, souvent à la fin, elles disent que c’était plus léger que ce à quoi elles s’attendaient. Je leur apporte des outils concrets pour qu’elles puissent comprendre comment se positionner, comment accompagner, comment écouter et comment orienter. C’est aussi important qu’elles comprennent ce qui se joue pour elles sur ce sujet.

 

Tu parles de l’écoute. Selon toi, qu’est-ce que c’est qu’une bonne posture professionnelle ?  

Il y a 3 choses qui me semblent essentielles :  

🔸D’être dans le non-jugement, dans l’ouverture à l’autre 

🔸La connaissance de soi et le travail sur soi car il me semble que c’est indispensable d’être au clair par rapport à ses propres problématiques pour pouvoir accompagner. A partir du moment où on est dans la relation d’aide, si on n’a pas travaillé sur soi, je pense que ça peut poser problème à un moment donné.  

🔸La connaissance du sujet

Ces 3 piliers me semblent fondamentaux. 

Comme tu le sais, au CeFAP, on travaille beaucoup sur ces piliers grâce à la relation d’aide et du ProDas, une méthode socio-émotionnelle car il nous semble essentiel d’avoir une bonne connaissance de soi pour pouvoir accompagner des parents dans une période de vulnérabilité. Se connaitre est essentiel pour travailler en périnatalité ?    

On ne choisit pas son métier par hasard. En tout cas dans les métiers de soins, il me semble important d’éclaircir ce que ça vient toucher de son histoire ? Qu’est ce qui fait que j’ai envie d’accompagner des femmes enceintes et plus particulièrement celles qui ont perdu un bébé ? Est-ce que c’est parce qu’il y a cette histoire dans ma famille ou que moi-même je l’ai vécu et que je me suis sentie démunie ? Il n’y a pas de mauvaise raison mais l’idée c’est ce qu’on en fait. Le fait de pouvoir le mettre en lumière, c’est aussi ce qui permet de pouvoir accueillir quelqu’un sans jugement, de manière respectueuse, ouverte sans projeter sa propre situation. Le problème en périnatalité et autour de l’éducation, c’est qu’on a tous des croyances. Comment se décaler de sa propre situation pour pouvoir accompagner une maman qui a un besoin particulier sans être dans le jugement ? Il faut se questionner : qu’est-ce qu’il se passe pour moi sur ce sujet ? Qu’est-ce que ça vient toucher chez moi ? Pourquoi ça m’anime ? Pourquoi j’en arrive là ? Qu’est-ce que ça réveille ? Qu’est-ce que je veux venir réparer de moi ? Il faut être très au clair avec tout ça. 

 

Au CeFAP, tu transmets un module sur le deuil périnatal. Qu’est-ce que les professionnels viennent chercher sur cette problématique ? De quoi ont-ils besoin pour accompagner cette épreuve de vie ? 

Je dirai (c’est peut-être une idée) que les professionnels ne viennent pas sur ce thème spontanément car il renvoie à la peur. Au CeFAP, cette thématique est imposée, alors c’est différent. En tout cas, la majorité des personnes que je forme a été confrontée à ce sujet et s’est sentie démunie. Je pense que les professionnels ont besoin de ressources pour eux-mêmes pour pouvoir dépasser cette appréhension du tabou de la mort. Sur ce sujet, j’ai envie de transmettre quelque chose de lumineux parce qu’en séance, c’est ce que je vis avec les parents que j’accompagne même si évidemment il y a des moments très douloureux. Malgré la souffrance, il y a de la lumière ; il y a beaucoup de vie. C’est toujours quelque chose que j’ai envie de transmettre aux personnes qui se forment. Au début, quand on fait un tour de table, elles appréhendent et, souvent à la fin, elles disent que c’était plus léger que ce à quoi elles s’attendaient. Je leur apporte des outils concrets pour qu’elles puissent comprendre comment se positionner, comment accompagner, comment écouter et comment orienter. C’est aussi important qu’elles comprennent ce qui se joue pour elles sur ce sujet.

Les réseaux sociaux ont-ils leur place pour informer autour de la maternité/parentalité ? 

Je pense qu’il y a beaucoup de positif car ils permettent de libérer la parole, de se sentir soutenus et de sortir de l’isolement grâce notamment aux communautés. Cependant, il y a aussi le risque de tomber dans les injonctions et la désinformation. Comment faire le tri en tant que parent ? Je trouve que ce n’est pas toujours simple.  

A ce propos, est-ce que tu conseilles des comptes à suivre avec de l’information qualitative et utile ? 

Je n’en recommande pas beaucoup mais je dirai :  

🔸Mes Presques Riens sur les arrêts de grossesse 

🔸Kiffe ton cycle sur le bien-être menstruel 

🔸Emancipées sur le cycle féminin  

🔸Le regret maternel 

🔸After birth trauma sur le syndrome de stress post-traumatique de l’accouchement 

🔸Association Maman Blues sur la difficulté maternelle 

Avec mon podcast, je me questionne régulièrement : comment je transmets l’information ? Comment j’aborde ce sujet ? Est-ce que je vais me retrouver à être une injonction de plus ? Ce que je propose permet-il aux parents de réfléchir et de s’approprier pleinement quelque chose ? Lire, écouter, c’est très bien mais ce qui permet vraiment le changement, c’est de faire. Comment passer de l’écoute d’un podcast à du concret. Ce passage ne se fait pas sur les réseaux, c’est la propre volonté de chacun d’agir. 

 

D’ailleurs, à travers ton podcast, tu abordes beaucoup de thématiques variées qui sont des sujets d’actualité, en lien avec les changements de notre société (PMA, GPA, homoparentalité, charge mentale, handiparentalité). Quel est ton objectif ?

L’idée de départ (et c’est toujours le cas) c’était de transmettre une information pour aider les parents à comprendre ce qu’ils vivent, ce qu’ils traversent car « le savoir, c’est le pouvoir ». Je voulais faire dialoguer différents courants de pensées car je ne pense pas qu’il y ait une recette miracle de l’éducation (ça se saurait). En fonction de qui on est, de son histoire, de ses enfants (d’un enfant à l’autre ce n’est pas la même chose), on va vivre et traverser des choses différentes. Je souhaite que les parents prennent ce qui leur convient. J’ai envie de construire un monde meilleur avec moins de violence. Mon positionnement : bienveillance, respect et protection des enfants.  

 

Quelle place pour le père aujourd’hui ?

Statistiquement, les femmes viennent plus consulter que les hommes. Eux, ils viennent généralement à la demande de leur conjointe. J’invite les conjoints à venir, à participer.  La question du couple en périnatalité est très présente. La place du père a évolué c’est certain. Aujourd’hui, ce serait lunaire qu’un père ne change pas de couches. Ils sont beaucoup plus présents, impliqués.  Autrefois, la place du père était plus à distance des soins de maternage. Aujourd’hui, le papa prend aussi sa part même s’il y a beaucoup à faire pour accompagner les hommes, leur offrir des espaces de paroles. Il est important de prendre en compte le père et de travailler avec lui (ou le co-parent).  

Qu’est-ce que tu aimerais voir évoluer dans le secteur de la périnatalité ?

J’aimerais que la prise en charge des femmes et des familles évolue. Je souhaite vraiment qu’il y ait un accompagnement à la parentalité plus cohérent. Un accompagnement global pour permettre aux parents de se saisir pleinement de leur parentalité pour qu’ils en deviennent acteurs.  

Du côté de la prévention, il me semble aussi important d’informer les femmes dès leur plus jeune âge qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’accoucher. Il s’agit de mieux informer sur la grossesse, sur la naissance physiologique, car je pense que cette médicalisation à outrance infantilise les parents et ne les met pas en position d’être acteur. Je rencontre des patientes qui veulent accoucher dans une maternité de niveau 3. Je leur dis qu’il n’y a pas de problème si ça répond à leur besoin. Le tout est de pouvoir le choisir pleinement et librement.

 

Combattre les violences faites aux enfants

As-tu des combats dans lesquels tu t’engages ?  

Oui, tout ce qui concerne la santé mentale des parents. N’oublions pas que le suicide maternel est quand même la première cause de décès dans l’année qui suit la naissance d’un enfant. Ce qui montre bien que cette arrivée est un bouleversement majeur et peut générer beaucoup de souffrance, généralement en lien avec son histoire individuelle ou de couple. Mais elle est aussi renforcée par le regard et les attentes de la société autour de la parentalité ; les enjeux de réussite. On a envie d’être les meilleurs parents pour nos enfants dans ce monde qui nous semble de plus en plus hostile ce qui amène beaucoup d’injonctions (il faut réussir).  

L’autre combat qui me tient vraiment à cœur, c’est toutes les violences faites aux enfants, notamment les violences sexuelles qui sont trop tabous encore dans notre société. Et pourtant, c’est systémique. Il y en a partout. Je le vois dans ma patientèle. Beaucoup de femmes que j’accompagne en ont été victimes dans l’enfance.  Il faut en parler, en parler.  Dans les 5 podcasts les moins écoutés, il y a celui sur les abus sexuels. J’étais surprise mais ça montre à quel point il est difficile de se confronter à ce sujet, d’en parler. C’est tellement horrible qu’on ne se sent pas concernés.  Mais c’est quand même 3 enfants par classe. Donc ça nous touche (de près ou de loin) : nos enfants, les copains de nos enfants, les enfants de nos amis. Plus on va en parler, plus les personnes aborderont ce terrible sujet. C’est tellement important de libérer la parole car au-delà de l’acte, ce qui fait le plus de dommage c’est le secret, le silence, c’est que la parole des enfants ne soit pas entendue.  

Au CeFAP, tu transmets aussi un module sur les difficultés maternelles. C’est un sujet devenu moins tabou ?  

Les hastags monpostpartum, à la suite de metoo ont fait beaucoup de bien pour libérer la parole. Ces dernières années et dans la suite du rapport des 1000 jours, il y a eu une action portée sur la santé mentale. Les choses bougent même si ça ne va pas assez vite.  Il y a encore beaucoup à faire. La force des réseaux sociaux, des communautés, des personnes médiatiques qui se sont emparées du sujet ont aidé les femmes à sortir de l’isolement et à consulter plus tôt pour que les difficultés ne s’installent pas.  

 

Que dirais-tu à des nouveaux parents ?  

Croyez en vous ! Faites-vous confiance. Ecoutez-vous. Mettez à distance tout le bruit qui s’agite autour de vous. Donnez-vous du temps pour rencontrer votre enfant parce que ça prend du temps, ça se construit. La parentalité c’est un voyage fantastique, de découverte de soi, de l’autre (son enfant et son partenaire). On peut découvrir de belles choses même si c’est parfois dans la douleur. Ça nous fait beaucoup travailler sur nous-même.  

Enfin, informez-vous pour faire des choix librement qui vous correspondent à vous !   

 

Merci Mathilde pour cet échange.