Portrait : Vanina Caïtucoli, une femme de cœur

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quels ont été les faits marquants de votre enfance et de votre adolescence, vos choix d’orientation, vos aspirations ?

Je crois que je rêvais d’aider les gens, sans doute en étant médecin. J’étais très attirée par les informations que je lisais sur le corps et la santé. Mais un père corse ne misait pas forcément sur une carrière pour sa fille… Il me voyait plutôt en femme au foyer !

Adolescente, vers 17 ans, je passe du temps à écouter des femmes enceintes. Intuitivement, je sens qu’elles ont besoin de temps pour s’exprimer, pour dire ce qui se passe pour elles. Et le fait que je n’aie aucune connaissance sur ce sujet est au service de mon écoute !

Les cours où je suis la meilleure, ce sont ceux où il est question du fonctionnement du corps humain. Après le Bac, je m’oriente vers les soins du corps. Cela prendra son sens quelques années plus tard…

Vous vous êtes engagée très tôt dans l’humanitaire, dans un centre de réfugiés. Quel a été le déclencheur de cet engagement ?

En partant vivre à Singapour, en tant que « épouse de », je n’ai pas le droit de travailler. Mais mes enfants vont à l’école et j’ai de l’aide à la maison… Il est impensable pour moi de rester sans rien faire, cloisonnée dans un petit groupe d’expatriés. Je n’ai vraiment pas le profil !

Je découvre alors le camp de réfugiés créé par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Les boat-people débarquent des familles entières, des femmes enceintes, d’autres qui ont accouché sur le bateau ou qui portent des nouveau-nés dans les bras. Elles ne peuvent pas communiquer correctement alors qu’elles ont clairement besoin d’être suivies, soignées, conseillées, soutenues.

Les coups de main que je donne au centre deviennent de plus en plus fréquents et j’ai de plus en plus d’idées. Je cherche des fonds auprès d’entreprises françaises et francophones, j’organise des travaux d’amélioration des locaux (vestiaire, toiture, éclairage) puis je me lance dans la mise en place d’une consultation périnatale avec traducteur. Cela va durer trois ans et demi.

Le fil rouge continue…

 

Puis vous rentrez en France et vous avez un projet en tête. Racontez-nous cette expérience.

Effectivement, à mon retour en 1989, je crée un centre de thalasso urbaine, le premier en France à l’époque. Avec les bénéfices de l’eau, des algues, des massages (j’avais suivi une formation spécifique de plusieurs mois), les hommes et les femmes retrouvent la forme, l’énergie, l’équilibre. Et dans ma clientèle, doucement, je remarque qu’il y a de plus en plus de femmes enceintes, de jeunes mères, et même des enfants.

Toujours le fil rouge…

 

Vous avez ensuite créé l’association ALNA pour accompagner les futurs parents.

Oui, l’idée était de créer un métier d’accompagnement à la périnatalité, pour les femmes et les hommes, pour celles et ceux qui ont le projet de devenir parents, par la biologie, l’adoption, dans le handicap, et dans toute situation. Il fallait créer une formation pour exercer ce métier, car cela n’existait pas. Une forme de naïveté, peut-être, me laisse croire alors que la forme associative est à privilégier. Je me trompe : entre trahisons et jalousies, cela prend fin deux ans plus tard. C’est sous la forme d’une entreprise, le Centre de formation à l’accompagnement périnatal (CeFAP), que je donne suite à mon projet. Le succès est au rendez-vous et la croissance ne s’arrête plus.

 

Quelles ont été les étapes de la création du CeFAP ?

Je pose les bases de la structure nécessaire pour ce centre de formation : des enseignants professionnels de leur secteur, des projets pédagogiques, des dossiers élaborés et complets, des locaux dédiés, des journées de mises en situation car c’est un outil pédagogique majeur, des examens devant un jury pluridisciplinaire, une partie pratique avec des professionnels de santé.

Tout a fonctionné ainsi, dans l’amélioration et la progression constantes au fil des années. Et l’enrichissement de l’équipe du CeFAP est au bénéfice de l’objectif majeur : former, de la meilleure façon qui soit, des Accompagnant.es Périnatal.es qui pourront, avec éthique, déontologie, hors prosélytisme et injonctions, être des partenaires professionnel.les au service des futurs et jeunes parents.

 

Quelles ont été les personnes qui vous ont plus particulièrement marquée et inspirée dans votre parcours ?

Plusieurs noms me viennent à l’esprit parmi les nombreuses personnes qui m’ont guidée.

J’ai beaucoup échangé avec Isabelle Brabant[1], sage-femme au Québec. C’est une grande professionnelle. Elle est capable d’aborder tous les sujets ayant trait à la grossesse, à la naissance et à la périnatalité, sans occulter les difficultés mais sans être anxiogène, ce qui n’est pas toujours le cas chez d’autres professionnels de la naissance… Elle apporte des connaissances aux femmes et aux hommes afin qu’ils développent leurs compétences et leur autonomie. Sa douceur et sa joie sont communicatives.

Le gynécologue obstétricien Michel Odent a beaucoup travaillé sur l’écoute des femmes enceintes, la réponse à leurs besoins, le respect de leur liberté de mouvement et de leur autonomie pendant l’accouchement. Il a aussi découvert que les femmes enceintes se sentaient particulièrement à l’aise dans l’eau et que cela favorisait le travail. C’était assez innovant à l’époque. Un autre gynécologue obstétricien, le Dr Bernard Maria, a accompli un travail extraordinaire pour réduire la sur-médicalisation et favoriser l’autonomie des femmes en salle de naissance[2].

Françoise Dolto n’est plus à présenter. J’apprécie particulièrement, dans son approche, sa volonté de libérer la parole de l’enfant et du parent, de favoriser la responsabilisation et l’autonomie du tout-petit. Elle était vraiment avant-gardiste dans ce domaine.

Nelson Mandela, aussi, m’a beaucoup inspirée. J’aime beaucoup sa phrase « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ». Quel battant ! Malgré tout ce qu’il a vécu en prison, il ne s’est jamais départi de son humilité, de sa douceur incroyable. Il a dit aussi : « En faisant scintiller notre lumière, nous offrons aux autres la possibilité d’en faire autant ». Pour moi, c’est un modèle de générosité et de respect de l’autre : une leçon à lui tout seul !

Enfin, Marc Zaffran, plus connu sous le pseudonyme de Martin Winckler[3], est aussi une source d’inspiration pour moi. Il a écrit des textes magnifiques sur les femmes et sur l’enfantement.

 

Que diriez-vous de votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?

Mon parcours est celui d’une autodidacte, mue par des convictions tout en se remettant en cause tout le temps, respectant l’éthique et la déontologie. Je suis quelqu’un qui aime le partage, qui respecte la place de chaque homme et de chaque femme, notamment dans le parcours périnatal.

 

Quelles sont les valeurs les plus importantes pour vous ?

L’honnêteté intellectuelle, l’autonomie de chacun – car c’est le chemin vers la liberté –, l’engagement, le courage, la ténacité me tiennent particulièrement à cœur.

 

Quelles sont vos perspectives et que souhaitez-vous pour l’avenir ?

Je souhaite que le métier d’Accompagnant.e Périnatal.e[4] soit clairement différencié de certaines « activités » de la sphère périnatale, par les futurs et jeunes parents comme par les partenaires médicaux et sociaux. La qualité de l’accompagnement est primordiale.

Les centres de formation dignes de ce nom, labellisés, intégrant des formateurs expérimentés et spécialistes de leur domaine, doivent être distingués des organismes fantaisistes, ou ne proposant que des récits d’expérience personnelle. Il faut bien comprendre que les webinaires et autres séminaires, notamment, ne proposent pas la même chose que des programmes de formation construits, élaborés, réalisés, vérifiés et évalués.

Par ailleurs, je milite pour que l’on cesse d’exclure les hommes dans certains espaces de la périnatalité : comme s’il n’existait que les femmes et les bébés… !

Je souhaite enfin que de plus en plus de professionnels se forment à la périnatalité[5] et, pourquoi pas, que le CeFAP puisse intervenir de plus en plus dans les formations initiales de professions médicales, paramédicales et sociales, dans cette période de la périnatalité qui est fondatrice de notre société.

Propos recueillis par Emmanuelle Barsky, le 28 février 2022

Pour en savoir plus :

– Caïtucoli V. Attendre et accueillir bébé. L’accompagnement, une aide précieuse.

Ouvrage en cours de réédition.

– La formation d’Accompagnant.e Périnatal.e expliquée par Vanina Caïtucoli.

https://www.youtube.com/watch?time_continue=8&v=sKN2MknnwFY&feature=emb_title

 

[1] Brabant I. Pour une naissance heureuse. Bien  vivre sa grossesse et son accouchement. Chronique sociale, 1991, réédition 2013.

[2] Céline Puill, Bernard Maria. Entretiens pour la série Accouche, 2019. https://www.fondationmustela.com/accouche-le-podcast-qui-raconte-lintimite-de-la-naissance

[3] Winckler M. Le chœur des femmes. Gallimard, 2017 | La maladie de Sachs. Gallimard, 2005.

[4] https://www.cefap-france.fr/formation-accompagnant-e-perinatal-e

[5] https://www.cefap-france.fr/formations-courtes/formations-courtes/specialisation-en-perinatalite

Crédit photos : Manon Leprévost